
Élection du Pape : Le Conclave
Origines et Évolution du Conclave
Le terme "conclave" vient du latin cum clave (sous clé), évoquant l'isolement des cardinaux pendant l'élection. Cette pratique trouve son origine dans un événement historique : l'élection papale de Viterbe (1268-1271), qui dura près de trois ans en raison des divisions entre cardinaux. Exaspérés par cette situation, les habitants de Viterbe enfermèrent les cardinaux dans le palais papal, réduisirent leur nourriture et même retirèrent le toit pour les inciter à prendre une décision.
Suite à cet épisode, Grégoire X institua en 1274 les règles fondamentales du conclave : isolement des cardinaux, limitation des contacts avec l'extérieur, et réduction progressive de la nourriture en cas de délibérations prolongées. Ces dispositions, assouplies au fil du temps, ont néanmoins posé les bases du système actuel.
Préparation du Conclave
Le conclave commence officiellement quinze à vingt jours après la vacance du Siège apostolique, qu'elle soit due au décès du pape ou à sa renonciation (comme ce fut le cas pour Benoît XVI en 2013). Cette période, appelée "novendiales", est traditionnellement consacrée aux funérailles du pape défunt et à neuf jours de deuil.
Pendant ce temps, les cardinaux du monde entier convergent vers Rome pour participer aux "congrégations générales", réunions préparatoires où ils discutent des défis de l'Église et échangent informellement sur les qualités requises pour le futur pontife. Ces discussions, bien que non contraignantes, contribuent à façonner le discernement des électeurs.
Parallèlement, la Chapelle Sixtine est aménagée pour le conclave : installation des tables et sièges pour les cardinaux, mise en place du système de chauffage pour brûler les bulletins, vérification de l'absence de dispositifs d'écoute ou de communication avec l'extérieur.
Entrée en Conclave
Le conclave débute par une messe solennelle Pro Eligendo Romano Pontifice (Pour l'élection du Pontife Romain) célébrée dans la basilique Saint-Pierre. L'après-midi, les cardinaux électeurs entrent processionnellement dans la Chapelle Sixtine en chantant le Veni Creator Spiritus, invoquant l'assistance de l'Esprit Saint.
Une fois dans la chapelle, chaque cardinal prête serment de respecter les règles du conclave, de maintenir le secret des délibérations, et de choisir celui qu'il juge le plus digne devant Dieu. Après le serment, le Maître des Célébrations prononce l'Extra omnes ("Que tous sortent"), et les portes de la chapelle sont fermées, marquant le début effectif du conclave.
Déroulement des Scrutins
Selon les règles établies par Jean-Paul II dans Universi Dominici Gregis (1996), modifiées par Benoît XVI en 2007, le conclave procède à quatre scrutins par jour : deux le matin et deux l'après-midi. Chaque session de vote suit un rituel précis :
- Préparation des bulletins : Chaque cardinal reçoit un bulletin rectangulaire portant les mots Eligo in Summum Pontificem ("J'élis comme Souverain Pontife"). Il y inscrit le nom de son candidat en déguisant son écriture pour préserver l'anonymat.
- Dépôt des bulletins : À tour de rôle, les cardinaux s'avancent vers l'autel, tenant leur bulletin plié et visible. Ils prononcent un serment : "Je prends à témoin le Christ Seigneur qui me jugera que je donne ma voix à celui que, selon Dieu, je juge digne d'être élu." Puis ils déposent leur bulletin dans une urne.
- Dépouillement : Trois cardinaux scrutateurs mélangent et comptent les bulletins, puis les ouvrent un à un, notant les noms sur une feuille. Le dernier scrutateur lit à haute voix chaque nom, permettant aux cardinaux de noter les résultats sur leur propre feuille.
- Vérification : Trois cardinaux réviseurs vérifient l'exactitude du décompte.
- Combustion des bulletins : Les bulletins, ainsi que toutes les notes prises par les cardinaux, sont brûlés dans un poêle spécial. Si aucun cardinal n'a obtenu la majorité requise, on ajoute de la paille humide, produisant une fumée noire visible depuis la place Saint-Pierre. Si un pape est élu, des produits chimiques sont ajoutés pour produire une fumée blanche.
L'Élection et l'Acceptation
Pour être élu, un cardinal doit recevoir au moins deux tiers des voix. Si après trois jours de scrutins (soit 12 votes), aucun candidat n'a atteint cette majorité, une journée de pause est observée pour la prière et le dialogue informel. Puis les scrutins reprennent pour sept tours supplémentaires, suivis d'une nouvelle pause si nécessaire.
Lorsqu'un cardinal obtient la majorité requise, le cardinal doyen lui demande : "Acceptasne electionem de te canonice factam in Summum Pontificem?" ("Acceptes-tu ton élection canonique comme Souverain Pontife ?"). Si l'élu répond affirmativement, il devient immédiatement le Pape, Évêque de Rome et Successeur de Pierre.
On lui demande alors quel nom il souhaite prendre, puis il se retire dans la "Chambre des Larmes" pour revêtir les habits pontificaux blancs. Pendant ce temps, le cardinal proto-diacre se présente au balcon central de la basilique Saint-Pierre et proclame à la foule : "Annuntio vobis gaudium magnum: Habemus Papam!" ("Je vous annonce une grande joie : Nous avons un Pape !").
La Première Bénédiction
Quelques minutes plus tard, le nouveau pape apparaît lui-même au balcon. Après une brève allocution, il donne sa première bénédiction Urbi et Orbi (à la Ville et au Monde). Ce moment marque symboliquement le début de son pontificat, bien que l'inauguration officielle, avec imposition du pallium et remise de l'anneau du pêcheur, ait lieu quelques jours plus tard.
Signification Théologique
Le conclave n'est pas simplement une procédure électorale, mais un acte ecclésial profondément spirituel. Les cardinaux sont appelés à discerner, dans la prière et le silence, celui que l'Esprit Saint désigne pour guider l'Église. Cette dimension spirituelle est soulignée par les nombreuses prières qui ponctuent le conclave et par l'engagement de toute l'Église dans la prière pendant cette période.
L'élection papale illustre également la nature unique de l'Église catholique : universelle dans sa portée mais concrètement incarnée dans l'évêque de Rome, successeur de Pierre. Le pape, bien qu'élu par les cardinaux, n'est pas considéré comme leur délégué mais comme le successeur direct de l'apôtre Pierre, à qui le Christ a confié son Église.
Conclusion
Le conclave, avec ses rituels séculaires et son atmosphère de recueillement, constitue un moment unique où tradition et actualité se rejoignent. À travers ce processus, l'Église catholique exprime sa conviction que, malgré les contingences humaines, l'Esprit Saint guide le choix de celui qui sera appelé à être le Vicaire du Christ sur terre.
Dans un monde en constante évolution, le conclave témoigne de la continuité de l'Église à travers les âges et de sa confiance en la Providence divine qui, selon la foi catholique, ne l'abandonne jamais, même dans les moments de transition et d'incertitude.